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Don McCullin : «Je suis parfaitement malheureux, mais je ne me plains pas»

Le reporter de guerre donnera une conférence à Genève le 24 avril. L’occasion de découvrir un homme abîmé par les drames qu’il a photographiés.

Il a photographié la plupart des conflits de la seconde moitié du XXe siècle, les famines au Biafra ou en Inde, les miséreux de Londres et du nord de l’Angleterre. A 81 ans, Don McCullin a tout vu de la noirceur du monde. Célébré partout pour ses portraits coups-de-poing en noir et blanc, tout juste anobli par la Couronne britannique,l’homme peine à assumer un succès bâti sur le malheur.Invité par l’Institut de hautes études internationales et du développement, le Club diplomatique et «Le Temps» le 24 avril prochain, le reporter donnera une conférence sur son parcours, à partir de quelques images. Le Temps: Vous êtes l’un des photographes les plus connus du monde. Vous dites pourtant que vous n’avez pas choisi la photographie… Don McCullin: Lorsque j’avais 20 ans, j’étais en Afrique avec l’Air Force, attaché à la section photographique. C’était la guerre et j’étais chargé de réaliser des vues aériennes de reconnaissance. Je prenais des photos de la jungle africaine, c’était ennuyeux. Je ne voyais pas mon avenir dans cette voie. Je suis rentré en Angleterre, où j’ai repris mon ancien job dans un labo. Ils m’ont proposé de photographier des dessins d’artistes, j’ai accepté car je n’avais aucune ambition. Durant cette période, lorsque j’avais 23 ans, un gang de garçons de ma rue a été impliqué dans des heurts avec une autre bande. Un policier a été tué. J’étais allé à l’école avec eux et je les avais photographiés. The Observer a publié l’image. Je suis devenu un nom, un petit nom que j’ai rendu plus grand au cours des soixante années suivantes. Tout cela résultait d’un accident, c’est comme si j’avais été appelé.– La construction du mur de Berlin a été une autre étape décisive…– J’étais à Paris avec mon épouse, nous venions de nous marier. J’ai vu cette photographie de Berlin, très célèbre, ce soldat de Berlin-Est sautant par-dessus un barbelé avec sa kalachnikov. J’ai dit à ma femme: «Regarde ce qui se passe! Quand nous rentrerons à Londres, pourrai-je aller là-bas?». Ma femme ne me refusait jamais rien. Je suis parti avec un appareil photographique, mes économies et aucune connaissance des affaires géopolitiques. Mais j’avais été attiré là-bas comme par un aimant, je pressentais qu’il se déroulait quelque chose d’important. J’ai vécu le reste de ma vie avec cette même intention. A partir de là, j’ai quitté The Observer pour rejoindre le Sunday Times, qui avait les moyens de m’envoyer au Vietnam ou au Moyen-Orient. Couvrir les guerres est devenu quelque chose de naturel pour moi. Le Temps : pourtant, vous évoquez souvent ce tiraillement entre votre travail de reporter et le poids de la souffrance des autres…– Je suis un être humain. Je pensais à la photographie, puis à la réalité qui m’entourait. C’était inconfortable. J’étais distingué pour mon travail mais je photographiais des gens tués ou affamés. Ma réputation s’est construite sur la souffrance des gens. La semaine passée, j’ai été anobli par la Couronne. Je me trouvais face au prince Charles, qui a posé l’épée sur mes épaules, et je me suis demandé si c’était juste. Je me demande sans cesse si je suis à la bonne place et si je dois accepter ce genre d’honneur.– Ne vous êtes-vous jamais dit que vos images étaient utiles? Au départ, oui, je pensais réellement qu’une image pouvait changer les choses. C’était si naïf! La photographie a été une vocation, comme être infirmier ou médecin. J’aurais aimé être infirmier ou médecin, j’aurais été un être humain bien plus heureux. Mais j’aime la photographie, j’aime tirer des images. Hier encore, j’étais dans mon labo en train de développer. A mon âge! Au début, c’était une aventure d’aller à la guerre. J’étais jeune, pas éduqué, pas sophistiqué. Mais au fil des ans, je me suis senti malheureux à cause de ce que je voyais. L’an dernier encore, je me suis rendu en Syrie et en Irak. Mais pourquoi vais-je là-bas? C’est ridicule à mon âge. D’autant que je sais maintenant qu’une photographie ne peut pas changer une situation.–

Pourquoi? Prenez les images que l’on a découvertes après la Seconde Guerre mondiale, de ces gens à Auschwitz, Dachau ou Bergen-Belsen. Six millions de personnes ont été tuées dans des conditions atroces. Cela ne suffisait-il pas pour dire l’insanité de la guerre? Cela ne suffisait-il pas? Que peut changer un petit homme comme moi avec un petit appareil photo? Soixante ans plus tard, nous vivons une guerre encore pire avec l’Etat islamique en Irak, qui brûle des gens vivants, tue des innocents. Rien n’a changé. Evidemment, j’ai pris de bonnes photographies, qui ont pu toucher ou émouvoir, mais je n’ai pas changé l’esprit des gens d’un iota.– Pourquoi dès lors retourner en Irak ou en Syrie? Je souffre de curiosité. Je veux me rendre compte par moi-même. Les journaux parlaient chaque jour de la situation, j’ai voulu aller voir. Une fois là-bas, j’ai compris que c’était une erreur. La guerre a changé. Vous ne voyez personne dans les rues car les snipers vous tueraient. La guerre est menée par les snipers, ... Lire la suite de l'article sur "LE TEMPS"

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